La vision classique du management établit des séparations claires entre trois "niveaux" :

• Stratégique : au sommet, les dirigeants définissent vision, mission et objectifs à long terme. Ils anticipent les menaces et opportunités de l’environnement.
• Tactique : les managers intermédiaires traduisent cette vision en plans d’action concrets, coordonnent les ressources et veillent à l’alignement des départements.
• Opérationnel : les managers de proximité organisent le travail, résolvent les problèmes quotidiens, motivent les équipes et garantissent productivité et qualité.

En théorie, ces trois niveaux s’enchaînent harmonieusement, comme une cascade : la stratégie descend, l’opérationnel exécute, et l’entreprise prospère.

Les limites de ce modèle

Aussi claire soit-elle, cette hiérarchie souffre de plusieurs angles morts :

• Trop rigide : elle suppose une organisation pyramidale où chaque niveau reste à sa place. Or, les entreprises fonctionnent aujourd’hui en réseaux, en projets, en transversalité.
• Déconnectée du terrain : en réalité, les dirigeants passent beaucoup de temps à gérer des urgences opérationnelles, tandis que les managers de proximité participent eux aussi à des choix stratégiques en innovant ou en détectant les signaux faibles.
• Absence de dynamique : les rôles ne sont pas figés. Un chef de projet peut se retrouver en posture stratégique ; un CEO peut descendre au plus près des opérations pour ajuster un dispositif.
• Vision trop verticale : la vision classique du management imagine une “chaîne de décision” descendante. Or, l’efficacité managériale d’aujourd’hui repose davantage sur des boucles d’apprentissage et sur la circulation des idées dans tous les sens.

Bref, ce modèle est obsolète.

Vers une autre figure : la lemniscate

Le management n’est pas une pyramide.
C’est une lemniscate : un mouvement infini entre vision et action.

Pourquoi cette image me semble-t-elle plus juste que le schéma classique en trois étages ?

Parce qu’elle traduit trois réalités essentielles du leadership contemporain :

Un double mouvement permanent
Dans une boucle, la vision nourrit l’action : les orientations stratégiques donnent sens et direction. Dans l’autre, l’action enrichit la vision : le retour du terrain, les innovations émergentes, les signaux faibles du marché obligent à revisiter les hypothèses et à ajuster les choix. Contrairement à la pyramide, qui suppose un flux descendant, la lemniscate met en lumière la circularité des apprentissages.

Un point de passage critique : le tactique
Le croisement des deux boucles, au centre du signe, représente la traduction tactique. C’est là que les idées prennent corps et que les décisions trouvent leur faisabilité. Ce n’est pas une zone intermédiaire sans relief, mais un lieu stratégique de transformation, où l’on convertit des orientations générales en actions concrètes, et où l’on réinjecte l’expérience dans la réflexion.

Une dynamique vivante plutôt qu’une structure figée
La lemniscate n’a ni sommet ni base, ni début ni fin. Elle évoque un mouvement fluide, sans hiérarchie figée. Elle correspond davantage aux organisations actuelles : agiles, transversales, en réseau, où l’autorité se construit autant par la capacité à relier qu’à décider. Elle illustre aussi la nécessité, pour chaque leader, de savoir circuler entre horizons — parfois stratège, parfois traducteur, parfois homme ou femme de terrain.

Un symbole universel et fécond
Le signe ∞, appelé lemniscate, signifie l’infini en mathématiques. Dans d’autres traditions, il incarne l’équilibre, la continuité et la réciprocité. C’est un symbole simple et puissant, qui rend visible ce que l’expérience enseigne : le leadership n’est pas un escalier à gravir, mais un cycle ininterrompu d’anticipation, d’action et d’apprentissage.

En adoptant la lemniscate comme figure du management, on ne décrit pas seulement une autre organisation du travail : on affirme une conception du leadership. Celle d’un art du passage, où la valeur n’est pas dans la position hiérarchique occupée, mais dans la capacité à faire circuler l’énergie, l’information et le sens entre les deux boucles.

En bref : la lemniscate nous rappelle que la vitalité d’une organisation ne dépend pas de la solidité de sa pyramide, mais de la fluidité de son mouvement.