Le "bias for action" ne peut exister sans une disposition au risque.
Or, dans nos sociétés, le risque est souvent présenté comme une faute, une erreur ou un échec quasi certain.
Pourtant, loin d'être l'ennemi du leadership, le sens du risque en est la matière première.
Pourquoi nous fuyons naturellement le risque
La psychologie comportementale nous éclaire sur cette aversion : Daniel Kahneman et Amos Tversky ont démontré que nous ressentons une perte deux fois plus intensément qu'un gain équivalent.
Cette asymétrie émotionnelle nous pousse naturellement vers la prudence, parfois excessive.
Le sociologue Ulrich Beck nous rappelle une vérité inconfortable : dans nos sociétés complexes, le risque ne peut pas être supprimé, seulement choisi et géré.
Le dirigeant "risk on" ne cherche donc pas à éviter l'incertitude, mais à sélectionner les risques stratégiques qui valent la peine d'être pris.
Plus encourageant encore, les neurosciences montrent que notre cerveau est plastique face au risque.
L'exposition répétée à des décisions incertaines renforce le cortex préfrontal, siège de la régulation émotionnelle et du jugement. Autrement dit : plus un leader pratique le risque dans un cadre réfléchi, plus il développe sa tolérance et son discernement.
Les conséquences d'une culture trop prudente se manifestent rapidement à trois niveaux :
L'exécution se dégrade. Chaque décision est reportée, validée à l'excès, fragmentée. L'agilité disparaît au profit d'une prudence paralysante.
Les décisions remontent trop haut. Par peur de se tromper, les managers délèguent systématiquement la responsabilité à leur hiérarchie, créant des goulots d'étranglement et ralentissant l'ensemble.
La responsabilité s'érode. Quand personne n'ose assumer le risque, la culture devient défensive, focalisée sur la conformité plutôt que sur la création de valeur.
Cette mécanique produit des organisations certes prudentes, mais aussi lentes et vulnérables face à des concurrents plus audacieux.
L'aversion au risque ne nuit pas seulement à l'organisation : elle affaiblit directement le dirigeant.
Un leader qui évite systématiquement l'incertitude perd progressivement sa crédibilité stratégique. Perçu comme un gestionnaire plutôt qu'un visionnaire, il voit son influence s'amenuiser dans les arbitrages clés.
Plus grave encore, cette posture mine la confiance des équipes. Les collaborateurs détectent rapidement quand leur leader fuit les décisions difficiles. Cette perception érode la motivation et peut pousser les talents talentueux et ambitieux à chercher ailleurs des environnements plus stimulants.
Paradoxalement, éviter le risque ne réduit pas le stress : reporter ou contourner une décision ne supprime pas l'incertitude, elle la prolonge. Le leader vit dans l'anticipation anxieuse plutôt que dans l'action résolue.
La tolérance au risque se développe comme un muscle : par l'entraînement progressif et méthodique. Contrairement aux idées reçues, cette capacité n'est ni innée ni figée. Elle se construit par trois leviers complémentaires.
Plutôt que d'affronter une décision massive - lancement de produit, réorganisation, investissement majeur - découpez-la en étapes testables. La psychologie comportementale démontre que notre cerveau gère mieux le risque fractionné, ce qui réduit la paralysie liée à la peur de l'échec.
En pratique : Validez un prototype avec un client pilote avant un déploiement global. Testez une nouvelle organisation sur une équipe restreinte. Investissez par tranches avec des seuils de validation. Cette approche transforme un "grand saut" anxiogène en série d'apprentissages maîtrisables.
Les neurosciences le confirment : l'exposition répétée à une source de stress diminue la réponse émotionnelle. Un dirigeant peut s'entraîner en prenant régulièrement des décisions rapides à enjeu limité.
En pratique : Tranchez en 24 heures sur un choix budgétaire mineur. Sélectionnez un fournisseur secondaire sans consultation extensive. Acceptez une invitation à un événement professionnel sans sur-analyser. Ces micro-décisions développent le réflexe d'action et renforcent la confiance en son jugement.
Nous l’avons dit, Kahneman a montré que notre cerveau surestime les pertes par rapport aux gains. Pour contrer ce biais, évaluez explicitement ce que coûterait une absence de décision.
En pratique : Avant chaque arbitrage, posez la question : "Combien de parts de marché perdons-nous en attendant six mois ? Quel retard d'innovation acceptons-nous ? Quels talents risquent de partir si nous ne tranchons pas ?" Cette contre-mesure cognitive rééquilibre la balance entre peur de l'échec et peur de rater une opportunité.
Le sens du risque se développe aussi par de petites décisions régulières.
En entreprise : prendre la parole pour défendre une idée minoritaire, donner un feedback direct (respectueux bien sûr :) à son manager, accepter une mission hors de son champ habituel.
Dans la vie personnelle : goûter une cuisine inconnue, engager la conversation avec un inconnu, planifier un week-end improvisé…écrire sur Linkedin?
Ces micro-risques entraînent progressivement la tolérance à l'incertitude et affinent le discernement, comme un muscle qui se renforce avec la pratique.
Être "risk on" ne signifie pas foncer tête baissée.
C'est développer la capacité à choisir les bons risques, à piloter leur perception, à manager leurs conséquences.
La mission du leader n'est pas de supprimer l'incertitude – mission impossible dans un monde complexe – mais de décider quels risques valent la peine d'être pris.
Et surtout, de s'assurer que son organisation avance assez vite pour saisir les opportunités quand elles se présentent.
Bref, dans un environnement de plus en plus chaotique et incertain, c’est l'immobilisme qui devient le plus grand des risques. Le sens du risque n'est plus un luxe : c'est une compétence de survie pour le leadership moderne.